Quand Allah s’invite au pays du Christ Rédempteur
- Il est 20 heures, nous sommes un dimanche, jour de match entre Fortaleza et Ceara, les deux clubs rivaux de la région où j’habite, et Dieu seul sait ô combien il est dangereux de se pavaner dans les rues pendant ces moments (dépendamment du score final, il y a souvent de ces supporteurs qui deviennent
un chouyaviolents et s’engagent dans des « sortes d’interaction » avec autobus, personnes et autres biens publics, que je jugerais très peu honorifique vis-à-vis du genre humain. Bref…) À cette heure, je sors de l’église pour rentrer chez moi, j’arrive à l’arrêt de bus et il y a cette dame, dans la soixantaine je dirais, assise toute seule. Dans son visage, j’entrevois une certaine inquiétude. A-t-elle peur de moi ? Dans ma tête, je me demande si c’est mon physique imposant qui l’effraie ou si c’est l’événement du jour. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, car très vite, j’obtiens ma réponse lorsqu’elle s’adresse à moi en disant: » Quel bus vas-tu prendre, mon fils ? » - J’ai tout de suite compris. La dame n’a pas envie, à raison, de rester toute seule à l’arrêt. En principe, n’importe quel bus passant sur cette avenue peut me conduire chez moi, mais en bon samaritain, en bon petit chrétien qui vient, en plus, de recevoir le Corps du Christ, je décide d’attendre avec elle jusqu’à ce que le sien n’arrive. Elle semble ravie. Et en attendant que le car ne vienne, elle engage de nouveau la conversation :
Elle: Tu n’es pas d’ici non ? Tu viens d’Afrique ?
Moi: Oui, je suis Africain, je viens du Togo. C’est un pays de l’Afrique occidental
Elle: Ah je vois. Donc c’est dans ta région que les chrétiens sont persécutés et tués par les musulmans, non? Pauvres chrétiens !
Moi (Un peu surpris, mais je commence déjà par m’habituer à ce genre de propos stéréotypés): Non non, chez moi, il n’y a aucun problème entre chrétiens et musulmans. C’est vrai que dans quelques pays du continent il y a des rivalités sanglantes entre ces deux groupes, mais on les compte sur le bout des doigts. Sinon, dans mon pays, comme dans la plupart des nations africaines Etats africains, il n’y a rien. L’islam, c’est une religion comme les autres. (…).
Elle (semblant n’avoir rien capté de tout ce que j’ai dit, et avec un air méprisant au plus haut point): Hmmmn, en tout cas, ces gens-là, cette religion, que Dieu m’en garde.
Moi (voulant coûte que coûte la faire changer de regard sur le sujet): Non, mais sérieux, il ne faut pas laisser des cas isolés influencer votre opinion. Oui, Il y en a qui aujourd’hui salissent le nom, l’image de l’islam, et ce qu’on sert ici dans les médias n’arrange pas les choses. Mais en vérité, c’est une religion qui a la même valeur que le christianisme et le reste, elle est aussi de Dieu et voilà. Je le répète, chez moi comme dans la plupart des pays africains, musulmans et chrétiens vivent en paix et ensemble. Je suis un chrétien (je lui montre le chapelet que j’ai sur le poignet), catholique, et je reviens d’ailleurs de la messe. Ma famille l’est aussi, mais mon grand frère par exemple a décidé de se convertir et aujourd’hui il est musulman. Sa femme est chrétienne et leurs enfants choisiront leur propre orientation religieuse plus tard. Tranquille quoi. Ce n’est même pas un sujet sur lequel nous nous attardons.
Et notre dame de rester muette pendant un moment. J’ai pu sentir qu’elle a été légèrement surprise de m’entendre dire que j’ai un grand frère musulman. Enfin, je veux bien avoir tort sur ce coup, mais hélas… Un bus arrive, et elle s’empresse de me dire que je peux y aller. Je réplique en disant que ça ne me gêne pas d’attendre, mais elle me dit : » Non c’est bon, tu peux partir ». En montant dans le bus, je l’entends continuer à rouspéter derrière. Comme quoi, vaut mieux être seul dans une période de danger que d’être accompagné du frère d’un musulman.
Si aujourd’hui l’islam fait peur et inspire autant de mépris, qui en sont les responsables? Lesdits islamistes ? Les médias ? Ou les détenteurs de l’information ? Quelque part, je m’en fous un peu de savoir qui est plus trempé que qui parce que, responsables, nous le sommes un peu tous. Cette dame, comme beaucoup d’autres, l’est parce qu’elle a accepté d’emblée l’image de l’islam véhiculé dans les médias, sans effectuer le moindre effort critique. De nombreuses gens et moi le sommes parce que nous savons ce qu’il en est vraiment de cette religion, mais ne faisons pas grand-chose pour montrer son vrai visage. Voyez-vous, chacun de nous a une petite part de responsabilité.
Ce fut la troisième fois que je m’engageais dans une discussion à propos de l’islam ici au Brésil, et pour la troisième fois, j’ai compris qu‘Allah n’est pas connu mais est méprisé au pays du Christ Rédempteur. Aujourd’hui, je me dresse en tant qu’habitant du monde, et dans le souci de promouvoir le partage d’un message de paix, la tolérance, l’acceptation de l’autre dans son altérité et dans son identité, je me dis prêt à œuvrer pour défaire les idées préconçues et discriminatoires qui existent dans ma communauté. Et vous, consentez-vous à le faire dans la vôtre?
Commentaires