Coronavirus : de grâce, laissons le football tranquille
Depuis quelques semaines, il y a un certain discours qui revient de plus en plus : les vrais héros, ce sont les professionnels de santé, et non nos Cristiano Ronaldo, Messi et autres. Vu le contexte actuel, difficile de lui donner tort.
Même les concernés directs (les joueurs de football) sont les premiers à le reconnaître à coups de messages de soutien et de dons de diverses natures. Les chercheurs, médecins, infirmiers et aides-soignants se tuent actuellement à la tâche et on ne peut que leur dire merci pour leur dévouement, tout en les encourageant à maintenir le cap car ils représentent un maillon essentiel dans cette lutte.
Si la question s’arrêtait là, vous conviendrez avec moi que nul aurait été besoin de rédiger un article. Sacrément long de surcroît. Eh bien, selon ce que j’ai compris des publications faites çà et là, il serait inadmissible, choquant, aberrant et tout ce que vous voulez comme mot se terminant par « ble » ou « ant », que des gens qui ne font que courir derrière un ballon gagnent des millions d’euros alors que les « vrais héros » n’émargent à peine qu’à 2 000 euros par mois. Une image d’une prétendue chercheuse espagnole circule d’ailleurs sur les réseaux sociaux, comme pour confirmer cette précarité salariale. On y voit la dame en train de s’indigner de la situation. Quelle injustice !
Le football ne sert à rien…
On peut bien entendre qu’il serait judicieux de revoir les conditions générales des personnels soignants (sans s’y limiter d’ailleurs) un peu partout dans le monde, mais j’aimerais qu’on m’explique comment le foot est tombé dans cette marmite de la comparaison. Je me suis dit que ce discours était tenu par les gens que ce sport insupporte. Aux yeux de cette catégorie de personnes, le football ne sert à rien, n’apporte pas grand-chose à la société, et de ce fait, ne mérite pas les sommes astronomiques qui y sont investies, ni tout l’engouement qui existe autour. À ceux-là, je répondrais simplement que c’est une passion comme toutes les autres et chacun est libre de la vivre comme bon lui semble. La passion est une question personnelle de valeur accordée par le cœur à un artefact déterminé. Alors, comment oserais-je qualifier celle d’autrui d’inutile ? D’ailleurs à ce propos, une amie proche est prête à tuer pour des timbres ou cartes postales. Personnellement je ne vois pas l’intérêt d’une telle activité mais bon, la passion, c’est la passion. On respecte et on avance.
En analysant les différents échanges que j’ai eus sur la question avec quelques personnes, je me suis rendu compte d’une chose : tous les commentaires de comparaison vis-à-vis du traitement reservé aux corps médicaux ne pointaient que le foot du doigt, non seulement pour le fossé présumé entre les salaires des deux secteurs, mais aussi pour le culte indu voué aux pairs de Neymar, car rappelons-le, les vrais héros, ce sont les professionnels de la santé. Je me suis donc posé les questions suivantes : pourquoi aucune comparaison n’est faite avec d’autres grands secteurs du sport ? Quid du cinéma par exemple ? Ou bien les Avengers sont-ils venus aider les docteurs à sauver le monde ?
Les joueurs de football sont payés en fonction de ce qu’ils apportent et rapportent
Alors oui, on me dit qu’il est inconcevable qu’un agent de la santé se retrouve à gagner 1 800 euros (une chercheuse de surcroît), alors que dans le monde du foot, c’est la fête au village. Ah bon ? Essayons de considérer les aspects suivants de la chose.
Lorsqu’on parle du monde du foot, on pense direct au bling-bling, aux millions d’euros gagnés par mois. C’est peut-être cette ostentation chronique de richesse, accrue par le boom des réseaux sociaux, qui pousse à attaquer le football et ses acteurs de la sorte. Mais ce que nous ne semblons pas voir, c’est que nous vivons dans un monde capitaliste et avide de profit. Qui donc serait disposé à payer 6 à 7 chiffres de salaire à un mec sachant qu’il n’a pas la garantie de récupérer l’investissement avec une belle plus-value derrière ? Qui?
Le football est le sport le plus populaire au monde. Le nombre exponentiel de suiveurs passionnés représente une masse folle de consommateurs à atteindre pour les différentes entreprises commerciales. Rappelons-nous que la passion est intimement liée au cœur. Quel serait alors le meilleur moyen de toucher ce beau monde si ce n’est par leur sport favori, et donc de facto, par leurs joueurs préférés qui sont généralement les mêmes et généralement les meilleurs (Neymar, Messi, Ronaldo, etc.). C’est ainsi que d’énormes contrats de partenariat sont conclus avec des clubs et/ou des joueurs. Tout le monde s’en met plein les poches, les investisseurs commerciaux y compris et voilà. Vive le capitalisme !
Aujourd’hui, les joueurs de football sont payés en fonction de ce qu’ils apportent et rapportent. Prenons le cas de Cristiano Ronaldo. Le phénomène sportif qu’il est n’est plus à présenter, nous savons déjà ce qu’il peut apporter à une équipe. Sur le terrain, c’est une bête et on préferera toujours l’avoir avec soi que contre soi, cela va de soi… Concentrons-nous sur ce qu’il rapporte. Ronaldo, c’est pratiquement 350 millions de « followers » sur les réseaux sociaux. L’avoir dans son équipe signifie ainsi une visibilité décuplée et une possibilité de négocier de meilleurs contrats de sponsoring, de droits TV et de réaliser des ventes record de maillots et autres produits de l’équipe.
En 2018, la Juventus Turin a réussi à le recruter et deux mois seulement après l’arrivée du bonhomme, la valeur du club a augmenté de 55 %, passant la barre du milliard d’euros pour la première fois depuis 2002. Et ma question est la suivante : à un monsieur comme ça, vous pensez qu’il convient de lui payer combien ? Le business, c’est le business. Tu rapportes gros, tu es payé gros, fin de la discussion.
Maintenant, à coté de ces grands championnats et noms ronflants de joueurs que nous connaissons tous et suivons tous les weekends, il y a les petits championnats, il y a les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes divisions. Dans ces zones-là qui abritent le plus grand nombre de footballeurs professionnels, on est bien loin des salaires mensuels à sept, six, voire cinq chiffres. Ainsi, à bien y regarder, la grosse part des joueurs de football perçoit un salaire mensuel à quatre ou cinq chiffres pendant 10 à 15 ans et puis basta.
En France, les salaires mensuels du corps médical partent de 2 000 à 3 000 pour les infirmiers, pouvant aller jusqu’à 16 000 euros pour un médecin généraliste et 30 000 euros pour un chirurgien, et ce, sur une période de 30 à 40 ans de service. Comparez-donc ces chiffres aux 8 à 15 000 euros (et là, mon estimation est heureuse) que gagnent la majorité des joueurs de foot par mois pendant 15 ans de carrière.
Des chiffres fous dans le football, vraiment ?
Je vais terminer ce argumentaire en évoquant ce qui aurait peut-être suffit à enterrer le sujet dès le départ : l’industrie médico-pharmaceutique. C’est presque une insulte pour cette dernière que de vouloir la comparer avec l’industrie du foot. Alors qu’en 2019, le FC Barcelone jubilait parce qu’ayant réalisé un chiffre d’affaires de 840 millions d’euros (la meilleure performance pour un club de foot en 2019), Johnson & Johnson, l’un des plus grands laboratoires actuellement, réalisait un chiffre d’affaire de 82 milliards de dollars pour 15 milliards de bénéfice sur la même période. Des chiffres fous qui montrent que le foot est une blague à côté du secteur médico-pharmaceutique.
Les grands chercheurs qui créent des médicaments épiques comme le viagra se trouvent dans les grandes boîtes comme Pfizer et compagnie et n’ont certainement rien à envier au salaire d’un Ronaldo. Parce que rappelons-le, l’on est payé en fonction de ce qu’on rapporte. Ainsi dès lors que monsieur le chercheur contribue de manière significative à l’obtention de ces milliards de chiffres d’affaire et bénéfices, acheter une île quelque part dans le monde serait peut-être pour lui une façon de demander pardon à sa femme après une dispute mineure.
Pour ce qui est de notre chercheuse espagnole, si elle a vraiment existé, en assimilant le football à l’industrie pharmaceutique, elle serait certainement d’une équipe de quatrième division. Parce que oui, la ligue des champions de la recherche biomédicale et pharmaceutique, ce sont ces grandes boîtes privées qui décident de tout et soumettent même parfois des pays à leur loi. En témoignent les récents événements concernant l’utilisation ou non de la chloroquine dans le protocole de traitement du coronavirus. Il faut croire que ce produit était jugé pas assez cher pour certains aux yeux de certains. Mais bon, ça c’est un autre débat.
Enfin, les vrais héros, c’est selon le contexte…
Du reste, je pense vraiment que toute activité humaine a son importance, qu’il s’agisse de la santé ou autre. C’est juste que parfois, la situation rend un domaine un peu plus essentiel qu’un autre. Les vrais héros AUJOURD’HUI, ce sont les membres des personnels de santé, mais pas que… Les caissiers dans les supermarchés aussi par exemple. Il y a quelques mois seulement, en janvier, en Australie, je suppose que les vrais héros, c’était les sapeurs-pompiers qui se battaient sans relâche pour éteindre cet énorme incendie. Et je suppose que, sans la Covid-19, les joueurs de Liverpool seraient actuellement les héros de toute une ville en obtenant ce titre de champion d’Angleterre tant attendu depuis plus de 30 ans.
En d’autres termes, l’eau c’est la vie, c’est une chose essentielle qui vaudrait encore plus en temps de guerre et/ou de sécheresse. Mais pendant un moment de grande fête, que vaut-elle devant la bonne bière ou une belle bouteille de Jean Marcheur ?
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