Les fables de Marek : l’île de Kégué
En tant qu’êtres humains, pour notre bien et celui de ceux qui nous entourent, l’idéal voudrait que nous puissions grandir, gagner en maturité et nous améliorer au fil des années et des expériences que nous vivons. On est d’accord là dessus, non ? Eh bien, dans ce cadre, j’ai décidé de lancer cette petite série que je vais appeler « Les fables de Marek ».
Le but de celle-ci sera d’exposer diverses petites expériences / histoires que j’ai vécues, desquelles j’ai tiré des enseignements qui m’ont aidé, je pense, à devenir une meilleure version de moi-même. Vous aussi, en commentaires, peut-être pourriez vous partager des expériences similaires aux miennes afin que nous apprenions les uns des autres.
Pour ce premier épisode, je vais vous ramener vers 2000 / 2001. Je ne me rappelle plus l’année exacte. Dans cette période, les saisons pluvieuses étaient un véritable cauchemar pour nous. Nous habitions depuis 1997 une petite maison dans le quartier de Kégué à Lomé, qui malheureusement était située dans un petit bas-fonds. Alors, quand il pleuvait juste un peu, tous les accès étaient bloqués.
Systématiquement, toute la maison était inondée et la situation était assez compliquée à gérer avec les appareils électroménagers comme le réfrigérateur et autres. Sans compter les affaires qu’il fallait bouger du sol, les crapauds qui pouvaient tranquillement venir prendre une douche dans notre salon, les moustiques, etc. Bref, un bazar !
Au départ, je ne me rendais pas trop compte de la gravité de la chose. Limite, ça m’amusait un peu. Au retour de l’école, par exemple, étant donné que pour les adultes, l’eau montait parfois jusqu’au cuisses dans notre rue, pour moi, c’était mort, je ne pouvais pas marcher jusqu’à chez moi. Ainsi donc, mon grand cousin François me portait sur le dos pour me faire traverser le lac d’eau de pluie sur 100-200 mètres. Le goût de ça ! Je vivais ma meilleure vie en jouant au chevalier.
Cependant, vu que ce type d’événement se répétait régulièrement, que je grandissais un peu et comprenais mieux les choses, vu que pour les premières fois de ma petite vie, j’ai vu ma maman couler des larmes dans cette histoire, alors que dans ma tête à cette époque, les grands ne pleurent pas, encore moins papa ou maman, j’ai commencé à réaliser que l’heure était vraiment grave.
La daronne était tellement pressée de quitter cet endroit et stressée par cette situation que pour se donner la force de tenir bon, une fois, elle nous a emmené, ma grande sœur et moi, déjeuner dans notre maison encore en construction à Agoè. Le chantier était encore vaste, mais qu’importe ! Nous y sommes allés, nous avons posé des pagnes par terre au niveau de l’endroit qui allait servir un ou deux ans plus tard de salle à manger. Nous nous sommes assis à même le sol et nous avons dévoré le copieux riz au gras préparé pour l’occasion.
Oui, c’était à ce point que la mama était désespérée. Puis un beau jour de l’année 2000 ou 2001, comme souvent, tout le monde à la maison était affairé à nettoyer la boue et autres dégâts offerts au salon et aux autres pièces du domicile par une énième inondation. Bien évidemment, Maman était encore dans tous ses états par rapport à ce qu’il se passait.
Moi, voulant éviter de suivre ce triste spectacle, je suis parti me poser tranquillement dehors, juste devant le portail d’entrée, sur la dernière marche d’escalier. Cet escalier fut d’ailleurs construit bien haut, pour limiter la quantité d’eau qui pénètre la maison. Je passais le temps à regarder cette eau immobiliser les chauffeurs 4 roues qui voulaient se jouer les Jason Statham dans Le Transporteur. Et c’est à ce moment que passa un jeune homme, les pieds bien trempés jusqu’au genoux, qui me lança : « Amenye, Olé ila dziaa ? », ce qu’on peut traduire par : « Alors mon ami, comment ça va sur l’île ? ».
J’ai tout de suite explosé de rire, lui même a rigolé et juste après son passage, je suis directement rentré me tordant de rire pour raconter la petite blague. Le visage fermé de la maman a drastiquement changé, abritant aussitôt un gros rire. Et si ma mémoire est bonne, toute la journée, et les jours qui ont suivi, on a fait que rigoler ou sourire à la mémoire de ce bref échange anodin.
Nous n’étions plus dans une maison salement inondée. Nous étions désormais sur une île, l’île de Kegue ! Et vu sous cet angle, ça fait beaucoup plus glamour, non ?
Alors, l’enseignement ou la morale que je garde de cet épisode, c’est que dans la plus grande des détresses, le rire peut être un excellent anti-inflammatoire. Il peut aider à relativiser certaines situations pouvant s’avérer difficiles et peut même permettre d’associer à celles-ci des symboles qui permettent de porter le fardeau un peu plus facilement. Car en effet, entre aborder la chose selon qu’on habite une maison dans une zone complètement inondée et se dire qu’on vit sur une île, l’état d’esprit n’est pas du tout le même.
Aujourd’hui, je nous exhorte donc à rire, à nous servir de ce puissant instrument sans modération, autant que nous pouvons.
Pour la petite histoire, nous avons quitté l’île de Kégué en 2002 et depuis lors, nous n’avons plus jamais récupéré le titre d’insulaires.
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