Mon ami a tué sa femme !

Article : Mon ami a tué sa femme !
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30 octobre 2020

Mon ami a tué sa femme !

Chronique extraite de mon livre Amenyeo (mes gens)…

Crédit photo : Ange-Olivier ADO


« Je suis perdu ». Il m’appela au petit matin en pleurs, la voix tremblante. La dernière fois qu’il m’avait appelé à une heure pareille en pleurant ses rares larmes masculines, ce fut lors de la naissance de sa benjamine, Khensy. Ces pleurs-ci étaient différents, ils étaient amers. Que se passait-il cette fois ? J’avais un mauvais pressentiment. « Mon frère, j’ai tué mon épouse, j’ai tué Jou ! ». Il pleurait encore plus fort et moi, encore dans le flou, je le laissai continuer : « je ne suis pas un assassin mec, je suis un homme bon, frère ».

En effet, impossible d’imaginer que mon frère et ami soit un assassin. Encore moins le bourreau de sa femme, la mère de ses enfants. C’est un homme de Dieu, un homme de famille. Malgré les écarts, les deuxièmes bureaux, c’est un homme exemplaire. Quel homme n’a pas de deuxième bureau ? Et moi-même, combien de fois me suis-je retrouvé dans les bras d’une autre ? Mais j’ai toujours su sauvegarder la place et le respect que ma femme mérite ; et cela, mon ami le fait également avec grande rigueur. Sa conception de la famille est très profonde. Chrétien de son état, il ne pouvait en être autrement. Les dimanches, il ne rate aucun culte, toujours aux côtés de sa bien-aimée.

Mon ami est un homme bien. Il aimait tellement sa femme qu’il nourrissait une jalousie sans pareille. Il ne la laissait pas sortir avec ses amies ; il créa plusieurs fois la bagarre après l’avoir vu échanger avec d’autres hommes : et comme je dis souvent, pas de jalousie, pas d’amour. Il avait un tel comportement parce qu’il l’aimait passionnément. Du moins, c’est ce qu’il a toujours dit. Cela dérangeait Jou, elle se sentait contrôlée, prisonnière. Mais nous lui répétions constamment : « c’est l’amour, ma chère. Sois reconnaissante parce qu’il démontre qu’il tient à toi ».

Cela n’a jamais plu à Jou. Un jour, elle fut violemment battue par son mari pour avoir fouillé sans autorisation son téléphone et lu des messages peu catholiques. Mais comme une famille soudée, ils lavèrent le linge sale entre eux ; seul le pasteur et sa femme furent mis au courant. Alors ils prièrent pour le couple, invoquèrent le Tout-Puissant et demandèrent à Jou de prier pour la famille et de ne pas laisser le démon détruire ce fondement de Dieu. La femme du pasteur la gratifia d’un conseil supplémentaire : « La femme sage édifie son foyer, la sotte le détruit. Jou, tu n’es pas sotte, ma fille. Et encore une fois, Jou, évite de fouiner dans le téléphone de ton mari. Édifie ton foyer avec sagesse. » Jou, balayant d’un geste rapide ses larmes, promit de continuer d’être la femme exemplaire, cette belle femme qui sait rester à sa place.

Alliant la parole à l’acte, Jou se montra obéissante et suivit les conseils. Elle se démena pour entretenir le foyer même après avoir découvert que son mari, mon ami, mon frère, avait une relation avec une jeune fille du quartier. C’était trop pour elle mais il lui était vain d’essayer de rompre ; les opérations de persuasion fusaient, venant de ma femme et moi, des parrains, des parents et tantes de Jou : « Pense à ta famille, Jou. Ce n’est pas bien que les enfants grandissent avec des parents divorcés. Et dans cette maison, tu as tout ma chérie », ma femme lui dit et je confirmai. J’ajoutai d’ailleurs que tous les hommes font des erreurs ; « ce n’est pas parce que je suis un saint que ma femme et moi sommes toujours ensemble. C’est grâce au savoir pardonner. Et aussi ma chérie, il te sera difficile de trouver un autre foyer, reste avec cet homme ». « Tu es adulte et tu as des enfants. Ce ne sera pas facile d’avoir un autre mari en étant mère », compléta sa mère. Jou se perfectionna dans l’art de la gestion des angoisses. Ce n’était d’ailleurs pas chose nouvelle dans son quotidien.

Jou continua ainsi d’être la femme sage, la femme V de vertueuse, qui édifie le foyer. En ce qui concerne mon ami, Hodo, je ne me rappelle aucune imputation de responsabilité pour ses erreurs, aucun effort de sa part pour édifier le foyer, aucune preuve de vertu.

Ma belle-soeur renouvelait constamment ses forces. Elle pardonna et pria pour son mari ; pourtant le cycle des violences ne fut guère interrompu. Vu que le couple faisait partie de ces églises-là qui diabolisent tout, on recommandait tout simplement à Jou de prier. Au lieu d’être criminalisée, la violence fut spiritualisée. Sessions de délivrance avec sel, huile, eaux de diverses provenances… « Aie foi. Ce n’est pas ton mari, ma fille. C’est l’esprit qui est en lui. Nous ne combattons ni le corps ni le sang, mais plutôt toutes les forces négatives qui agissent dans des régions célestes, ma fille », disait la femme du pasteur, conseillère des couples.

Le corps de Jou est allongé, sans vie dans ce lit d’hôpital. Les enfants, choqués et impuissants, ont vu leur mère baigner dans son propre sang avant qu’elle ne soit évacuée ; Papa a tué maman, Khensy répétait, Papa a tué maman. Jou s’est battue pour son foyer, son foyer l’a abattue. Enfin, l’homme pour lequel elle a lutté, celui pour qui elle a fait d’énormes sacrifices, aujourd’hui l’a tuée.

Crédit : Fédération nationale solidarité femmes. Campagne 2010 de promotion du numéro 3919, dans le cadre de la dénonciation des violences contre les femmes en France.

Fixant mon ami du regard, je ne sais que faire : le consoler, l’accuser ou m’accuser. Maintenant je réalise. Jou n’est pas morte aujourd’hui ; cette date est juste le point culminant d’une mort lente. Jou mourrait émotionnellement. Aujourd’hui, je me sens complice de cet assassinat. J’ai été le mentor de l’assassinat de ma belle-soeur.

Je n’ai jamais discuté avec mon ami de la responsabilité affective, de l’attention. Je n’ai jamais réprouvé ses attitudes négatives. Je n’en avais même pas la légitimité, et pour cause, je me voyais dans tout ce qu’il faisait. Ainsi, je ne lui faisais aucune réprimande.

À 15 ans, j’ai souri non sans un regard complice lorsqu’il m’a dit avoir ordonné à sa petite amie d’effacer certains contacts qui le dérangeaient, lui interdisant de parler avec ces personnes. À environ 18 ans, je n’ai émis aucun blâme lorsque je l’ai entendu dire à sa dulcinée que sans relations sexuelles, leur idylle n’avait plus de sens. Soit elle cédait, soit il fallait reconsidérer la relation. Je réalise que nous avons été éduqués à l’insensibilité. Pleurer était inadmissible : « les enfants, un garçon, ça ne pleure pas », je me rappelle ces mots que le père de Hodo évoquait chaque fois que nous tombions de la bicyclette.

Mon ami a tué sa femme. J’ai contribué au meurtre. Je ne me suis jamais entretenu avec mon ami sur la construction d’un foyer sain, où règne le respect. Bien au contraire, avec mon ami, on s’est souvent moqués de Jou lorsqu’elle se plaignait des sorties nocturnes du mari le vendredi, sorties desquelles elle le voyait rentrer le samedi, sinon le dimanche. Jou souffrait. Nous, on riait et on disait : « C’est une affaire d’hommes, chérie coco ».

Malgré mon désaccord avec le fait que Jou n’avait pas le droit de sortir en dehors des heures de travail, ni de converser avec certains hommes, je n’ai jamais confronté mon ami. J’ai plutôt dit à Jou : « c’est ton mari, c’est le chef de la famille, obéis. »

Lorsqu’elle a découvert l’adultère de mon ami avec la jeune voisine de 14-16 ans, j’ai dit à Jou que malgré son âge avancé, il ne fallait absolument pas perdre le charme de la jeune femme ado : « Une femme ne doit pas perdre son charme. Jou, c’est de ta faute si ton mari courtise une fille de cet âge. L’homme cherche dehors ce qu’il ne trouve pas à la maison ». Ma femme valida mes propos en hochant la tête, même si elle n’était pas tout à fait d’accord. Quant à mon ami, une fois de plus, il trahit mais fut innocenté.

Malgré la récurrence de la violence physique, j’ai conseillé à Jou de ne pas le dénoncer à la police. C’était un déshonneur pour la famille. Je n’ai jamais expressément réprouvé la violence de mon ami ; je lui ai juste dit : « Ne la bats pas devant les enfants ». Et il a très bien suivi mon conseil. Il l’a frappé et l’a violemment poussé dans la chambre, loin des enfants. Ma belle-soeur cogna sa tête contre le chevet du lit. L’intervention chirurgicale n’y fit rien. Jou mourut. Mon ami l’a tuée. J’ai participé au crime.

Je n’ai pas soutenu Jou dans ses moments de détresse. Aujourd’hui, je pleure sa mort. Je n’ai pas dénoncé mon ami violent. Aujourd’hui je viens voir mon ami assassin.

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Commentaires

Tinbalou
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Bravo fils
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